Un programme de concert ne se conçoit pas différemment d’une dégustation aux équilibres savants et subtils, régis par l’heure de la journée, l’humeur du moment, l’acoustique de la salle, la personnalité de l’instrument. Issu d’une famille de restaurateurs, Julien Gernay le reconnaît : « chaque jour presque, je joue et je déguste musiques et vins. Les deux activités sont indissociables et se confondent. Il arrive qu’elles provoquent une onde de choc inouïe ». Pour ce faire, il faut entrer en soi-même, se laisser surprendre par la profondeur des sensations, au-delà des notes et des tanins. De quelle manière poser les doigts sur les touches ? De quelle manière jouer avec les arômes de la note, ces harmoniques qui se perdent et sur lesquels, pourtant, il faut prendre appui, une fraction de seconde, pour que le récit ne s’interrompe pas. En somme, emprisonner dans l’espace ce qui, aussitôt émis, appartient déjà au souvenir.
Le pianiste avoue n’avoir que peu de lien avec l’image et devant le clavier, ou un verre à la main, ne pas visualiser le décor d’une histoire. C’est elle qui le conviera. Dans l’instant, il observe des formes sonores, un déplacement d’ondes, des éthers, des promesses. L’intellect et le sensible se rejoignent et s’agrègent. Les correspondances se propagent dans le corps et deviennent évidences.
Cela fait des années que Julien Gernay songe au projet Vinophony. Le voici interrogeant ses amis viticulteurs qui possèdent une profonde perception de la musique. La beauté est dénudée sans la vérité. Le voici, enfin, devant le public qui n’imagine pas le prodigieux travail réalisé, les heures passées devant le piano. Le son fini se dévoile comme se respire un vin accompli. Devant la partition, au moment de la mise en bouteille, la médiocrité n’est pas acceptable.